La Montre - Un petit avant-goût ?
Il est important que je vous signale que Celui qui vient de Vardosk n'est que le premier tome d'une petite série que j'ai appelée La Montre, et dont j'ignore encore le nombre de volumes. Je suis actuellement en train d'écrire le second tome, et il me semble qu'il sera - au moins - aussi long à écrire que le premier, sinon plus. J'ai déjà le fil directeur, c'est le principal.
En attendant, voici une petite mise en bouche, histoire que vous sachiez à quoi vous attendre - ou presque ! Il s'agit de l'extrait que j'ai présenté à la Japan Expo de Paris, de 2013.
En attendant, voici une petite mise en bouche, histoire que vous sachiez à quoi vous attendre - ou presque ! Il s'agit de l'extrait que j'ai présenté à la Japan Expo de Paris, de 2013.
Vardosk
les berçait dans une ambiance douce et tranquille. Ils marchaient depuis peu de
temps, dans une atmosphère fraîche et sans vent, lorsqu’une forme vaporeuse
apparut non loin devant eux. Ils arrêtèrent, se regardèrent, et, d’un même
mouvement, continuèrent leur chemin. A mesure qu’ils approchaient, elle se fit
plus nette : assise en tailleur sur un nuage qui semblait surélevé, cette forme
avait un corps féminin et portait un immense chapeau noir aplati sur la tête,
qui rendait son corps et le nuage où elle était assise, aussi noire qu’elle.
Ils s’arrêtèrent à un mètre d’elle, et pendant quelques secondes, seuls les
bruits que faisaient, en dansant les Ohokatis, furent entendus.Puis
l’erisse leva la tête ; son chapeau était si noir qu’il semblait absorber toute
la lumière autour de lui, et cachait donc la forme du visage aux deux frères. Cependant,
ses yeux brillaient d’un vert plus clair encore que ceux d’Hereï.
_ Connaissez-vous l’avenir ?
Incapables de prononcer une parole, les maïendrains firent simplement non de la tête. Son grand chapeau se baissa vers l’avant. Elle acquiesçait.
_ Je l’ai vu. L’avenir est néfaste. L’avenir m’a parlé de la guerre des peuples. Il l’appelle la Grande Guerre. Il dit que toute la création en sera réduite à néant. Que nous retournerons à notre origine première. L’avenir annonce que nous irons rejoindre les Razegs de Lumière. Alors, un nouveau monde sera forgé, de l’imagination des deux futurs Dieux. L’avenir est proche, frères. Très proche.
Un monde ? Des dieux ? Le petit roux voulut lui demander ce que signifiait tout cela, mais Zykye l’arrêta dans son élan :
_ Quel est le rapport avec nous ? Se risqua-t-il.
_ Vassadror tout entier tremblera sous la furie des troupes, continua l’erisse sans tenir compte de la question du jeune virao, et il n’en restera que deux. Deux âmes que le temps liera à jamais.
La voix de l’erisse retomba comme si le silence la forçait à taire ses révélations. À nouveau interdit, aucun des deux frères ne dit mot. Pendant quelques instants encore, elle ne fit que les regarder l’un après l’autre. Puis elle reprit :
_ Son métronome les guidera, tel un Ohogyna parmi les Ohoperos. _ Les quoi ? Fit Hereï. Qui sont-ils ?
Dans ses veines, son sang était en ébullition. Il voulait absolument savoir ce qu’elle voulait dire. Peut-être était-ce comme ces créatures marines, peut-être venaient-ils de ce monde qu’ils ne connaissaient pas, son frère et lui. Il voulait lui demander ; cependant, le chapeau de l’étrangère aux savoirs étonnants, se baissa, cachant à nouveau sa silhouette, et tourna, de droite et de gauche.
_ Passez votre chemin, répondit-elle. Je vous en ai assez dit.
Parlant ainsi, elle coupait net aux questions que souhaitait tant lui poser Hereï. Que faisait-elle dans les Nuages Interdits ? Pourquoi ne l’avaient-ils jamais vue auparavant ? Pourquoi étai-elle cachée par un chapeau qu’elle pouvait à peine tenir ? Pourquoi leur parlait-elle d’un futur bavard ? Et toutes ces choses dont elle donnait des descriptions, des noms et des idées qu’ils ne connaissaient pas, pourquoi en parlait-elle ?
Bien sûr, cela furent autant de questions qui se rajoutaient à celle auxquelles le maïendrain n’avait déjà aucune réponse. Il gardait la bouche ouverte, sans oser sortir un son, de peur de décevoir cette… pouvait-il la considérer seulement comme une virao ? Et bien sûr, elle coupa à nouveau court à ses pensées.
_ Mais avant, défaites-vous de cette apparence brillante. L’apparence vous nuit. L’apparence vous rend faux.
Les deux frères se regardèrent, surpris et méfiants. Le petit roux avait une nouvelle question. Qu'était leur apparence ? Ils ne pouvaient pas se dématérialiser, comme le faisaient les Ohokatis. Comme si elle avait lu dans leurs esprits, l’erisse ajouta :
_ Par l’apparence, vous paraissez aux yeux des autres. L’apparence est fausse. L’apparence est dénuée de toute réalité. L’apparence vous rend autre.
Il était vrai qu’ils avaient appris à la Grande Igura que le fait de révéler son véritable visage avait pour expression la « mise à nu ». Ainsi, peut-être était-ce ce qu’ils devaient faire, retirer leurs habits de cérémonie pour continuer leur aventure ? Ils se pressèrent de faire ce que cette erisse au grand chapeau leur disait.
_ Connaissez-vous l’avenir ?
Incapables de prononcer une parole, les maïendrains firent simplement non de la tête. Son grand chapeau se baissa vers l’avant. Elle acquiesçait.
_ Je l’ai vu. L’avenir est néfaste. L’avenir m’a parlé de la guerre des peuples. Il l’appelle la Grande Guerre. Il dit que toute la création en sera réduite à néant. Que nous retournerons à notre origine première. L’avenir annonce que nous irons rejoindre les Razegs de Lumière. Alors, un nouveau monde sera forgé, de l’imagination des deux futurs Dieux. L’avenir est proche, frères. Très proche.
Un monde ? Des dieux ? Le petit roux voulut lui demander ce que signifiait tout cela, mais Zykye l’arrêta dans son élan :
_ Quel est le rapport avec nous ? Se risqua-t-il.
_ Vassadror tout entier tremblera sous la furie des troupes, continua l’erisse sans tenir compte de la question du jeune virao, et il n’en restera que deux. Deux âmes que le temps liera à jamais.
La voix de l’erisse retomba comme si le silence la forçait à taire ses révélations. À nouveau interdit, aucun des deux frères ne dit mot. Pendant quelques instants encore, elle ne fit que les regarder l’un après l’autre. Puis elle reprit :
_ Son métronome les guidera, tel un Ohogyna parmi les Ohoperos. _ Les quoi ? Fit Hereï. Qui sont-ils ?
Dans ses veines, son sang était en ébullition. Il voulait absolument savoir ce qu’elle voulait dire. Peut-être était-ce comme ces créatures marines, peut-être venaient-ils de ce monde qu’ils ne connaissaient pas, son frère et lui. Il voulait lui demander ; cependant, le chapeau de l’étrangère aux savoirs étonnants, se baissa, cachant à nouveau sa silhouette, et tourna, de droite et de gauche.
_ Passez votre chemin, répondit-elle. Je vous en ai assez dit.
Parlant ainsi, elle coupait net aux questions que souhaitait tant lui poser Hereï. Que faisait-elle dans les Nuages Interdits ? Pourquoi ne l’avaient-ils jamais vue auparavant ? Pourquoi étai-elle cachée par un chapeau qu’elle pouvait à peine tenir ? Pourquoi leur parlait-elle d’un futur bavard ? Et toutes ces choses dont elle donnait des descriptions, des noms et des idées qu’ils ne connaissaient pas, pourquoi en parlait-elle ?
Bien sûr, cela furent autant de questions qui se rajoutaient à celle auxquelles le maïendrain n’avait déjà aucune réponse. Il gardait la bouche ouverte, sans oser sortir un son, de peur de décevoir cette… pouvait-il la considérer seulement comme une virao ? Et bien sûr, elle coupa à nouveau court à ses pensées.
_ Mais avant, défaites-vous de cette apparence brillante. L’apparence vous nuit. L’apparence vous rend faux.
Les deux frères se regardèrent, surpris et méfiants. Le petit roux avait une nouvelle question. Qu'était leur apparence ? Ils ne pouvaient pas se dématérialiser, comme le faisaient les Ohokatis. Comme si elle avait lu dans leurs esprits, l’erisse ajouta :
_ Par l’apparence, vous paraissez aux yeux des autres. L’apparence est fausse. L’apparence est dénuée de toute réalité. L’apparence vous rend autre.
Il était vrai qu’ils avaient appris à la Grande Igura que le fait de révéler son véritable visage avait pour expression la « mise à nu ». Ainsi, peut-être était-ce ce qu’ils devaient faire, retirer leurs habits de cérémonie pour continuer leur aventure ? Ils se pressèrent de faire ce que cette erisse au grand chapeau leur disait.
Les deux frères sont partis depuis un certain temps, et, connaissant le rituel, tous les maïendrains expérimentés se tournent d’un bloc vers le château, à l’autre bout de la cité aérienne. Pendant que les futurs adultes sont dans les Nuages Interdits, le Roi s’apprête à offrir deux nouveaux visages à la communauté.
Alors, les viraos suivent lentement les Gurvipians, jusqu’à la grande demeure de Hoiy Viisvekki. C’est dans un silence solennel que la procession traverse la cité. Seuls les pas sur les pavés sont entendus. Les deux plus jeunes hésitent à se faire entendre. Dernier maillon de la file, ils suivent leurs aînés sans un mot, curieux de voir ce qui leur a été caché pendant si longtemps. Curieux de connaître enfin le visage de leur Roi.
Finalement, les membres du Gurvype montent les premières marches qui mènent à la grande porte du château. Les adultes accomplis se rangent par quatre, et les jeunes font de même.
La grande porte s’ouvre sur un grand être au visage pâle, et à la longue barbe noire qui leur fait face, alors que Vardosk pointe ses rayons d’or vers lui. Avec un immense sourire, il regarde l’astre diurne, plus que ses enfants, et porte contre son cœur deux paquets. Les deux derniers Maïendrains. Le silence semble devenir plus lourd encore. Mais il ne dure pas longtemps, car le roi parle ainsi :
_ Je suis fier de vous présenter nos nouveaux habitants.
Deux des membres du Gurvype s’empressent de prendre les derniers rejetons de la cité. Après avoir jeté un premier regard sur la progéniture du Roi, ils se tournent vers tous les maïendrains. Un autre Gurvipian se détache du peloton, pour choisir un couple de maïendrains. Pendant ce temps, Hoiy Viisvekki parle avec un détachement presque étrange, face aux regards hystériques et aux visages trempés de sueur de ses subalternes.
_ Voici Lizma et Zeroï. Soyons heureux de les accueillir parmi nous.
Il se tourne vers le couple appelé, qui s’est empressé de suivre le Gurvipian.
_ Ebaet, Malsario, jurez-vous de faire tout ce qui est en vous pour veiller sur ces deux bébés ?
C’est la première fois que les deux jeunes maïendrains sont appelés à devenir parents adoptifs. Ils ont peur, mais ils savent que leur bon roi est prêt à leur donner les meilleurs conseils qui soient. D’un simple regard, ils savent l’un et l’autre qu’ils sont prêts. Prêts à accueillir ces deux enfants. Prêts à les élever. Prêts à les guider vers le passage. C’est d’une même voix qu’ils répondent tous deux :
_ Oui, Hoiy. Nous le jurons.
_ Jurez-vous de les rendre fiers d’être maïendrains ?
_ Oui, Hoiy. Nous le jurons.
Ils s’agenouillent, honorés par l’offre de leur Roi. Par un « bien » presque inaudible, le roi intime aux deux Gurvipians de laisser les deux rejetons au jeune couple.
_ Ebaet, sois fier. Zeroï, ma fille, est tienne désormais. Tu devras veiller sur elle comme si Maïendror dépendait de sa vie.
_ Je suis fier, mon roi.
Après avoir parlé au père, Hoiy Viisvekki se tourne vers la mère.
_ Malsario, sois heureuse. Lizma, mon fils, est à présent tien. Tu devras le chérir comme tu chéris Maïendror.
_ Je suis heureuse, mon roi.
Un instant silencieux passe, qui paraît durer une éternité. Pour Malsario, qui en rêve depuis qu’elle a accompli son propre passage, aujourd’hui est le plus beau jour de sa vie. Et, tandis que les cris de la foule, derrière elle, emplissent à nouveau l’air, elle se prend à sourire à son fils qui la regarde, de ses yeux d’or.
C’est bien la première fois qu’elle voit des yeux pareils. Et ces derniers l’observent, comme s’ils voulaient la transpercer. Ces yeux, dont la couleur dorée semble se mouvoir d’elle-même. Son sang se fige alors dans ses veines.
Alors, les viraos suivent lentement les Gurvipians, jusqu’à la grande demeure de Hoiy Viisvekki. C’est dans un silence solennel que la procession traverse la cité. Seuls les pas sur les pavés sont entendus. Les deux plus jeunes hésitent à se faire entendre. Dernier maillon de la file, ils suivent leurs aînés sans un mot, curieux de voir ce qui leur a été caché pendant si longtemps. Curieux de connaître enfin le visage de leur Roi.
Finalement, les membres du Gurvype montent les premières marches qui mènent à la grande porte du château. Les adultes accomplis se rangent par quatre, et les jeunes font de même.
La grande porte s’ouvre sur un grand être au visage pâle, et à la longue barbe noire qui leur fait face, alors que Vardosk pointe ses rayons d’or vers lui. Avec un immense sourire, il regarde l’astre diurne, plus que ses enfants, et porte contre son cœur deux paquets. Les deux derniers Maïendrains. Le silence semble devenir plus lourd encore. Mais il ne dure pas longtemps, car le roi parle ainsi :
_ Je suis fier de vous présenter nos nouveaux habitants.
Deux des membres du Gurvype s’empressent de prendre les derniers rejetons de la cité. Après avoir jeté un premier regard sur la progéniture du Roi, ils se tournent vers tous les maïendrains. Un autre Gurvipian se détache du peloton, pour choisir un couple de maïendrains. Pendant ce temps, Hoiy Viisvekki parle avec un détachement presque étrange, face aux regards hystériques et aux visages trempés de sueur de ses subalternes.
_ Voici Lizma et Zeroï. Soyons heureux de les accueillir parmi nous.
Il se tourne vers le couple appelé, qui s’est empressé de suivre le Gurvipian.
_ Ebaet, Malsario, jurez-vous de faire tout ce qui est en vous pour veiller sur ces deux bébés ?
C’est la première fois que les deux jeunes maïendrains sont appelés à devenir parents adoptifs. Ils ont peur, mais ils savent que leur bon roi est prêt à leur donner les meilleurs conseils qui soient. D’un simple regard, ils savent l’un et l’autre qu’ils sont prêts. Prêts à accueillir ces deux enfants. Prêts à les élever. Prêts à les guider vers le passage. C’est d’une même voix qu’ils répondent tous deux :
_ Oui, Hoiy. Nous le jurons.
_ Jurez-vous de les rendre fiers d’être maïendrains ?
_ Oui, Hoiy. Nous le jurons.
Ils s’agenouillent, honorés par l’offre de leur Roi. Par un « bien » presque inaudible, le roi intime aux deux Gurvipians de laisser les deux rejetons au jeune couple.
_ Ebaet, sois fier. Zeroï, ma fille, est tienne désormais. Tu devras veiller sur elle comme si Maïendror dépendait de sa vie.
_ Je suis fier, mon roi.
Après avoir parlé au père, Hoiy Viisvekki se tourne vers la mère.
_ Malsario, sois heureuse. Lizma, mon fils, est à présent tien. Tu devras le chérir comme tu chéris Maïendror.
_ Je suis heureuse, mon roi.
Un instant silencieux passe, qui paraît durer une éternité. Pour Malsario, qui en rêve depuis qu’elle a accompli son propre passage, aujourd’hui est le plus beau jour de sa vie. Et, tandis que les cris de la foule, derrière elle, emplissent à nouveau l’air, elle se prend à sourire à son fils qui la regarde, de ses yeux d’or.
C’est bien la première fois qu’elle voit des yeux pareils. Et ces derniers l’observent, comme s’ils voulaient la transpercer. Ces yeux, dont la couleur dorée semble se mouvoir d’elle-même. Son sang se fige alors dans ses veines.
Lorsqu’ils eurent retiré leurs habits, qu’ils avaient pliés soigneusement, et lorsqu’ils eurent posé leurs parures dessus, ils posèrent toutes leurs affres près de l’erisse qui tendit le bras sur sa gauche. Son chapeau était toujours baissé, l’occultant totalement.
_ Choisissez bien votre route.
_ Adieu, firent-ils ensemble.
_ Nous nous reverrons, répondit-elle.
Sans vraiment faire attention à ces mots, ils exécutèrent une révérence polie, semblable à celles qu’ils réservaient généralement aux Gurvipians et à leur Roi, avant de repartir. L’air devenait plus frais, et commençait à leur fouetter les flancs.
Les Ohokatis s’étaient invités à leurs côtés. Certains exécutaient autour d’eux d’agréables danses aériennes. D’autres avaient pris l’apparence de jeunes erisses, habillées de blanc, et qui se pendaient à leur cou, éperdues d’amour.
Les créatures de l’air les accompagnèrent ainsi jusqu’à parvenir devant deux portes à battant simple, perdues dans la brume et faites du même bois que l’arbre sans nom. Elles étaient toutes deux parées de symboles étranges. Des êtres qui leur ressemblaient étaient gravés dessus, ainsi que ces mêmes créatures qu’ils avaient vues dans le bassin.
La partie basse des battants, cependant, disparaissait dans la brume à hauteur de genou, que dégageait le nuage. Cette brume était si dense qu’elle effaçait le reste des dessins. Les êtres de vent s’arrêtèrent, lancèrent un regard à chacune des deux portes. Puis, d’un même mouvement léger et presque silencieux, s’en retournèrent vers la cité de Maïendror, pour voir les deux nouveaux nés. À présent, les frères étaient vraiment seuls. Pendant longtemps, ils restèrent tous deux silencieux. A observer l’une, puis l’autre des deux portes. Ils se regardèrent.
_ Moi, je serais tenté de prendre à gauche, dit Zykye avec légèreté.
Hereï réfléchit. Il hésitait réellement, mais plus il regardait la porte de droite, plus il était convaincu que leur réelle route était derrière celle-ci. Et plus il observait la porte de gauche, plus il s’en sentait repoussé.
_ Non. C’est de l’autre côté.
Son frère le regarda, puis prit, cette fois, un air sérieux :
_ Il faut bien réfléchir, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Tu es bien certain que c’est à droite qu’il faut prendre ?
Un court instant passa entre la fin de sa phrase et la réponse d’Hereï. Ce dernier ne détournait plus le regard de la porte qu’il avait choisie.
_ Je le sais.
C’était comme si tout ce qu’il avait vécu jusqu’ici l’avait mené jusqu’à cette porte-là. Il savait que son destin était derrière, et non celle que son frère désignait. Mais le problème était bien que Zykye avait exactement la même sensation à propos de la porte de gauche. Les adultes avaient beau garder le secret du passage, il était certain que chaque paire avait choisi la bonne porte, et ce, d’un commun accord. Les deux frères l’ignoraient. Et malgré leur certitude, ils ne pouvaient s’empêcher de douter, chacun de son côté.
Mais il y avait autre chose : Une seule des deux portes avait toujours été franchie, la destination de l’autre n’était par conséquent connue de personne, pas même des Gurvipians.
Zykye tourna son regard vers chacune des deux portes, puis vers son frère à nouveau. Il se mit alors à rire et dit :
_ Tu dois faire erreur. C’est à gauche qu’il faut prendre. J’en suis certain.
Mais Hereï ne le prit pas de la même façon et le ton monta :
_ C’est toi qui fais erreur. Je sais que c’est celle de droite. Je le sais au plus profond de moi-même.
_ Choisissez bien votre route.
_ Adieu, firent-ils ensemble.
_ Nous nous reverrons, répondit-elle.
Sans vraiment faire attention à ces mots, ils exécutèrent une révérence polie, semblable à celles qu’ils réservaient généralement aux Gurvipians et à leur Roi, avant de repartir. L’air devenait plus frais, et commençait à leur fouetter les flancs.
Les Ohokatis s’étaient invités à leurs côtés. Certains exécutaient autour d’eux d’agréables danses aériennes. D’autres avaient pris l’apparence de jeunes erisses, habillées de blanc, et qui se pendaient à leur cou, éperdues d’amour.
Les créatures de l’air les accompagnèrent ainsi jusqu’à parvenir devant deux portes à battant simple, perdues dans la brume et faites du même bois que l’arbre sans nom. Elles étaient toutes deux parées de symboles étranges. Des êtres qui leur ressemblaient étaient gravés dessus, ainsi que ces mêmes créatures qu’ils avaient vues dans le bassin.
La partie basse des battants, cependant, disparaissait dans la brume à hauteur de genou, que dégageait le nuage. Cette brume était si dense qu’elle effaçait le reste des dessins. Les êtres de vent s’arrêtèrent, lancèrent un regard à chacune des deux portes. Puis, d’un même mouvement léger et presque silencieux, s’en retournèrent vers la cité de Maïendror, pour voir les deux nouveaux nés. À présent, les frères étaient vraiment seuls. Pendant longtemps, ils restèrent tous deux silencieux. A observer l’une, puis l’autre des deux portes. Ils se regardèrent.
_ Moi, je serais tenté de prendre à gauche, dit Zykye avec légèreté.
Hereï réfléchit. Il hésitait réellement, mais plus il regardait la porte de droite, plus il était convaincu que leur réelle route était derrière celle-ci. Et plus il observait la porte de gauche, plus il s’en sentait repoussé.
_ Non. C’est de l’autre côté.
Son frère le regarda, puis prit, cette fois, un air sérieux :
_ Il faut bien réfléchir, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Tu es bien certain que c’est à droite qu’il faut prendre ?
Un court instant passa entre la fin de sa phrase et la réponse d’Hereï. Ce dernier ne détournait plus le regard de la porte qu’il avait choisie.
_ Je le sais.
C’était comme si tout ce qu’il avait vécu jusqu’ici l’avait mené jusqu’à cette porte-là. Il savait que son destin était derrière, et non celle que son frère désignait. Mais le problème était bien que Zykye avait exactement la même sensation à propos de la porte de gauche. Les adultes avaient beau garder le secret du passage, il était certain que chaque paire avait choisi la bonne porte, et ce, d’un commun accord. Les deux frères l’ignoraient. Et malgré leur certitude, ils ne pouvaient s’empêcher de douter, chacun de son côté.
Mais il y avait autre chose : Une seule des deux portes avait toujours été franchie, la destination de l’autre n’était par conséquent connue de personne, pas même des Gurvipians.
Zykye tourna son regard vers chacune des deux portes, puis vers son frère à nouveau. Il se mit alors à rire et dit :
_ Tu dois faire erreur. C’est à gauche qu’il faut prendre. J’en suis certain.
Mais Hereï ne le prit pas de la même façon et le ton monta :
_ C’est toi qui fais erreur. Je sais que c’est celle de droite. Je le sais au plus profond de moi-même.
Enfin. Les falaises, aux aspects aussi prédateurs que ce désert de feu, qui se faisaient plus grosses à chaque instant, sont enfin devenues immenses. La silhouette n’en a plus pour longtemps. Elle décide de retirer sa cape, puisque son calvaire s’arrêtera dans peu de temps.
Ses mains creusées de sillons de souffrance vont péniblement jusqu’à l’attache qui tient la cape fermée, et parviennent à séparer les deux côtés. L’habit noir s’ouvre d’un coup et se trouve rejeté avec force sur le sol, d’où s’envole paresseusement la poussière rouge sombre. L’eris apparaît alors, vêtu d’une chemise dorée comme Vardosk, d’un gilet et d’un pantalon noir comme son ombre, ainsi que de bottes de cuir. Ses vêtements sont collés à lui.
Il a les traits forcis, ainsi que de longs cheveux et d’épais sourcils noirs. Il était sans doute beau garçon, avant de traverser ce désert. Mais cette marche laborieuse lui a ravagé tout le corps. Et la chaleur continue de le ronger. Elle s’attaque à chaque goutte de sueur en la transformant en vapeur brûlante, tuant ainsi, une à une, toutes les cellules de sa peau fragile.
Un instant, il est persuadé d’avoir bien agi en s’allégeant de cet habit lourd. L’air qui se frotte à lui, collant aussitôt ses autres habits humides contre sa peau, confirme ses pensées. Quelques secondes il se sent revitalisé par cet acte. Alors, il continue sa marche, abandonnant derrière lui sa seule véritable protection contre la chaleur, qui s'acharnera à nouveau sur lui plus tard, et avec plus de violence. Sa jeunesse est aussi son défaut, car il manque d'expérience. S’il avait vécu plus longtemps au milieu des éléments, il aurait su que sa mort surviendrait plus vite que s’il avait gardé cette lourde mais protectrice cape noire. Mais il n’a rien appris du dehors.
Il ignore qu’en jetant sa cape, il vient d’avancer l’heure fatidique. Un pas après l’autre, encore inondé par cette nouvelle fraicheur que lui procure le vent contre sa tenue trempée, il marche, il marche.
Puis la moiteur se fait à nouveau bouillante autour de lui, l’enfermant dans un étrange cercueil de lumières et de flammes. Il se courbe à nouveau, supportant la chute de ces boules de feu invisibles. Il les supporte, comme le peut un être seul et sans protection au milieu d’un désert ardent. Mais il en a bientôt terminé. Ne lui vient plus qu’une idée en tête : ne pas se décourager, ne penser à rien. Marcher, seulement marcher. Alors, il fait un nouveau pas, puis un autre.
Jusqu'à tomber, à quelques mètres à peine de sa cape abandonnée. Il est mort avant même de toucher le sol : Son cœur n’a pas supporté la température.
Ses mains creusées de sillons de souffrance vont péniblement jusqu’à l’attache qui tient la cape fermée, et parviennent à séparer les deux côtés. L’habit noir s’ouvre d’un coup et se trouve rejeté avec force sur le sol, d’où s’envole paresseusement la poussière rouge sombre. L’eris apparaît alors, vêtu d’une chemise dorée comme Vardosk, d’un gilet et d’un pantalon noir comme son ombre, ainsi que de bottes de cuir. Ses vêtements sont collés à lui.
Il a les traits forcis, ainsi que de longs cheveux et d’épais sourcils noirs. Il était sans doute beau garçon, avant de traverser ce désert. Mais cette marche laborieuse lui a ravagé tout le corps. Et la chaleur continue de le ronger. Elle s’attaque à chaque goutte de sueur en la transformant en vapeur brûlante, tuant ainsi, une à une, toutes les cellules de sa peau fragile.
Un instant, il est persuadé d’avoir bien agi en s’allégeant de cet habit lourd. L’air qui se frotte à lui, collant aussitôt ses autres habits humides contre sa peau, confirme ses pensées. Quelques secondes il se sent revitalisé par cet acte. Alors, il continue sa marche, abandonnant derrière lui sa seule véritable protection contre la chaleur, qui s'acharnera à nouveau sur lui plus tard, et avec plus de violence. Sa jeunesse est aussi son défaut, car il manque d'expérience. S’il avait vécu plus longtemps au milieu des éléments, il aurait su que sa mort surviendrait plus vite que s’il avait gardé cette lourde mais protectrice cape noire. Mais il n’a rien appris du dehors.
Il ignore qu’en jetant sa cape, il vient d’avancer l’heure fatidique. Un pas après l’autre, encore inondé par cette nouvelle fraicheur que lui procure le vent contre sa tenue trempée, il marche, il marche.
Puis la moiteur se fait à nouveau bouillante autour de lui, l’enfermant dans un étrange cercueil de lumières et de flammes. Il se courbe à nouveau, supportant la chute de ces boules de feu invisibles. Il les supporte, comme le peut un être seul et sans protection au milieu d’un désert ardent. Mais il en a bientôt terminé. Ne lui vient plus qu’une idée en tête : ne pas se décourager, ne penser à rien. Marcher, seulement marcher. Alors, il fait un nouveau pas, puis un autre.
Jusqu'à tomber, à quelques mètres à peine de sa cape abandonnée. Il est mort avant même de toucher le sol : Son cœur n’a pas supporté la température.
Hereï
était en colère contre son frère. Ce dernier n’avait voulu ni l’écouter ni le
suivre. Alors, ils s'étaient disputés, chacun voulant prouver à l'autre par
tous les moyens qu'il avait raison. Ils en étaient même arrivés aux mains. Oui.
Les deux frères, qui n'avaient jamais eu la moindre dispute, s'étaient
insultés, frappés jusqu'à en saigner des phalanges. Aucun des deux n'avait eu
l'avantage, mais au final, chacun était parti de son côté, borné qu'ils étaient
tous deux. Blessé dans sa chair comme dans son âme, vexé, en colère, et
laissant derrière lui une mare de sang, que le nuage avait tenté d'absorber en
vain. Il l'ignorait, mais les Ohokatis étaient revenus voir ce que faisait
cette chose étrange, vestige d'une fraternité détruite par un choix.
Dans les nuages, personne ne savait ce qu'était le sang puisque personne n'en avait vu, à l'exception de ceux qui avaient assisté à la mort de Keikiru. Les Ohokatis, quant à eux, l’avaient oublié depuis fort longtemps déjà.
Ainsi, Zykye avait pris la porte de gauche ; Hereï, celle de droite. Chacun des battants de bois s’était fermé sur un visage résigné.
Tandis que le grand aux cheveux de nuit marchait avec force et caractère d’un côté, son frère roux allait de la même cadence de l’autre. Il ne cessait de penser à leur dispute, ainsi qu’aux multiples façons de la désarçonner s'il avait pris le temps de réfléchir. Mais il avait eu, comme Zykye, un tel élan de colère qu'il en était lui-même surpris. Il imaginait la façon dont ils s’excuseraient l’un et l’autre, avant d’aller boire ensemble un kesha chez Erie, puisque les deux chemins mèneraient au même endroit. Il ne voulait pas croire autre chose que cette idée. Il ne voulait pas croire que son frère et lui seraient séparés. Il savait que la bonne porte était celle qu’il avait choisie puis franchie, mais il ne voulait penser que celle de son frère ouvrait sur un chemin qui ne menait nulle part.
Son instinct le guidait, il ne pouvait s’être trompé. Et s’il n’était pas allé par la bonne route, tant pis. Elle devait forcément le conduire à une destination bien définie. Il ne pouvait rebrousser chemin, ne serait-ce que pour sa fierté. Cela serait avouer qu'il avait eu tort, alors qu'il savait avoir choisi la bonne route. Il avait si peur de se retourner qu’il se forçait à regarder droit devant, comme s’il suivait un autre lui-même ; il n’avait donc pas vu la porte disparaître dans les volutes de brouillard ; il commença à s’enfoncer dans le nuage qu’il foulait de ses pieds nus, mais il n’y prêta pas attention. Le brouillard occultait ses jambes jusqu’à mi-mollet. Le froid mélangé à l’humidité collait à ses jambes et la condensation fit couler des gouttes froides jusqu’à ses pieds, de la même façon que les gouttes de sueur perlaient de ses tempes.
Il marcha longtemps, avec ces images de son frère et lui, se battant sauvagement devant les portes. C’était comme sur un voile devant ses yeux. Ils s’étaient disputés de façon stupide et puérile. Jamais ils n’avaient été aussi bêtes d’agir ainsi.
Ses jambes traversèrent un peu plus l’épaisseur souple du nuage ; il avait bien plus de mal à mettre un pied devant l’autre, mais son esprit était trop occupé à se haïr pour ce qu’il avait fait. Il était en colère. Contre lui mais aussi contre son frère. Pourquoi Zykye ne l’écoutait-il donc jamais ? Pourquoi fallait-il toujours que le plus grand ait le dernier mot ? Il n’était pas seul, Hereï aussi avait son mot à dire. Lui aussi avait un instinct. Lui aussi avait des pressentiments, et il ne se trompait jamais. En tout cas moins souvent que Zykye. Pour une fois, qu'il voulait choisir pour eux deux, il fallait que ça soit la seule fois où son frère ne le suivait pas !
Il sentit sa tête exploser, arrêta aussitôt ces sombres pensées et leva les yeux. C'est à ce moment qu'il se rendit compte qu'il était déjà à mi-cuisse dans ce nuage, mais il n'avait pas d'autre choix. S’il voulait effectuer correctement ce passage, il devait braver même son frère.
Il voyait devant lui le ciel blanchi, et le nuage fumant de fraîcheur. Ce lieu était vide de toute vie. Il n’y avait pas un seul Ohokati, bien que ces êtres de l’air fussent adorateurs des environnements particulièrement froids. Il peinait à dégager ses jambes du nuage. Plus il marchait, plus il s'enfonçait, et plus il avait du mal à se sortir de l'épaisse couche de brume, plus il se sentait perdu. Mais il devait continuer : donner raison à son frère était la dernière chose qu’il voulait faire et rien ne lui ferait changer d’avis.
Alors, malgré le froid qui lui enserrait les jambes, malgré la force qu’il devait déployer pour se dégager du nuage, il avança avec ardeur et acharnement.
Après un certain temps, il se dit finalement que son frère avait raison. Que, peut-être, il ne le reverrait plus, qu'il n'avait pas franchi la bonne porte.
Non, c’était impossible. S'il y avait deux portes, il y avait nécessairement deux chemins. Celui qu'il venait de prendre menait invariablement quelque part. Alors, cette idée en tête, il avança avec plus d’entrain encore qu’avant. Il allait forcément quelque part.
Dans les nuages, personne ne savait ce qu'était le sang puisque personne n'en avait vu, à l'exception de ceux qui avaient assisté à la mort de Keikiru. Les Ohokatis, quant à eux, l’avaient oublié depuis fort longtemps déjà.
Ainsi, Zykye avait pris la porte de gauche ; Hereï, celle de droite. Chacun des battants de bois s’était fermé sur un visage résigné.
Tandis que le grand aux cheveux de nuit marchait avec force et caractère d’un côté, son frère roux allait de la même cadence de l’autre. Il ne cessait de penser à leur dispute, ainsi qu’aux multiples façons de la désarçonner s'il avait pris le temps de réfléchir. Mais il avait eu, comme Zykye, un tel élan de colère qu'il en était lui-même surpris. Il imaginait la façon dont ils s’excuseraient l’un et l’autre, avant d’aller boire ensemble un kesha chez Erie, puisque les deux chemins mèneraient au même endroit. Il ne voulait pas croire autre chose que cette idée. Il ne voulait pas croire que son frère et lui seraient séparés. Il savait que la bonne porte était celle qu’il avait choisie puis franchie, mais il ne voulait penser que celle de son frère ouvrait sur un chemin qui ne menait nulle part.
Son instinct le guidait, il ne pouvait s’être trompé. Et s’il n’était pas allé par la bonne route, tant pis. Elle devait forcément le conduire à une destination bien définie. Il ne pouvait rebrousser chemin, ne serait-ce que pour sa fierté. Cela serait avouer qu'il avait eu tort, alors qu'il savait avoir choisi la bonne route. Il avait si peur de se retourner qu’il se forçait à regarder droit devant, comme s’il suivait un autre lui-même ; il n’avait donc pas vu la porte disparaître dans les volutes de brouillard ; il commença à s’enfoncer dans le nuage qu’il foulait de ses pieds nus, mais il n’y prêta pas attention. Le brouillard occultait ses jambes jusqu’à mi-mollet. Le froid mélangé à l’humidité collait à ses jambes et la condensation fit couler des gouttes froides jusqu’à ses pieds, de la même façon que les gouttes de sueur perlaient de ses tempes.
Il marcha longtemps, avec ces images de son frère et lui, se battant sauvagement devant les portes. C’était comme sur un voile devant ses yeux. Ils s’étaient disputés de façon stupide et puérile. Jamais ils n’avaient été aussi bêtes d’agir ainsi.
Ses jambes traversèrent un peu plus l’épaisseur souple du nuage ; il avait bien plus de mal à mettre un pied devant l’autre, mais son esprit était trop occupé à se haïr pour ce qu’il avait fait. Il était en colère. Contre lui mais aussi contre son frère. Pourquoi Zykye ne l’écoutait-il donc jamais ? Pourquoi fallait-il toujours que le plus grand ait le dernier mot ? Il n’était pas seul, Hereï aussi avait son mot à dire. Lui aussi avait un instinct. Lui aussi avait des pressentiments, et il ne se trompait jamais. En tout cas moins souvent que Zykye. Pour une fois, qu'il voulait choisir pour eux deux, il fallait que ça soit la seule fois où son frère ne le suivait pas !
Il sentit sa tête exploser, arrêta aussitôt ces sombres pensées et leva les yeux. C'est à ce moment qu'il se rendit compte qu'il était déjà à mi-cuisse dans ce nuage, mais il n'avait pas d'autre choix. S’il voulait effectuer correctement ce passage, il devait braver même son frère.
Il voyait devant lui le ciel blanchi, et le nuage fumant de fraîcheur. Ce lieu était vide de toute vie. Il n’y avait pas un seul Ohokati, bien que ces êtres de l’air fussent adorateurs des environnements particulièrement froids. Il peinait à dégager ses jambes du nuage. Plus il marchait, plus il s'enfonçait, et plus il avait du mal à se sortir de l'épaisse couche de brume, plus il se sentait perdu. Mais il devait continuer : donner raison à son frère était la dernière chose qu’il voulait faire et rien ne lui ferait changer d’avis.
Alors, malgré le froid qui lui enserrait les jambes, malgré la force qu’il devait déployer pour se dégager du nuage, il avança avec ardeur et acharnement.
Après un certain temps, il se dit finalement que son frère avait raison. Que, peut-être, il ne le reverrait plus, qu'il n'avait pas franchi la bonne porte.
Non, c’était impossible. S'il y avait deux portes, il y avait nécessairement deux chemins. Celui qu'il venait de prendre menait invariablement quelque part. Alors, cette idée en tête, il avança avec plus d’entrain encore qu’avant. Il allait forcément quelque part.
Des nuages noirs s’amoncellent dans
le ciel surplombant les terres mortes qui n’abritent plus que les rares
créatures ayant réussi à s’adapter à la sècheresse. Un lourd grondement, encore
lointain, se fait entendre pour la première fois depuis très longtemps, profond
et menaçant. Les herbes desséchées sont bruyamment secouées en de violents soubresauts
par quelque force inconnue et invisible. Ce qui était auparavant chaud et sec
devient froid et moite. La même force qui avait agité les buissons se jette à
toute vitesse sur le sol, fait voler un nuage de poussière déposée ici depuis
des siècles, se frotte avec ardeur aux troncs noirs des arbres sans feuilles, s’y
heurte sans merci. Elle entoure, de son voile invisible et désagréable, les
roches solitaires et les squelettes calcinés des créatures n’ayant pas résisté
à la chaleur précédente. Elle arrache du sol quelques plantes sans racines,
dans un sifflement menaçant.
Un second bruit se fait entendre, plus proche et plus fort. Puis quelques instants après, une lumière blanche déchire l’espace qui sépare le sol des nuages grimaçants. Elle est presque aussitôt suivie de son lourd cri monstrueux, qui se répercute contre les parois des falaises avoisinantes.
La petite créature au pelage beige et aux larges oreilles se dresse sur ses pattes arrière ; ses grands yeux jaunes fendus en amande scrutent l’horizon, comme si elle lisait dans le ciel. Sa queue large fouette nerveusement l’air étouffant.
_ C’est différent, dit-elle. Ce dont je t’ai parlé, ce que nous savons. C’est sur le point de se produire. Abritons-nous pour le moment. Nous ressortirons lorsque ça sera terminé.
Accompagnée par son mâle et ses deux petits, la frêle créature à la fourrure beige se dirige vers le terrier qui leur tient lieu de foyer. Elle entre la première, suivie ensuite de ses petits ; son compagnon ferme la marche. La mère s’allonge contre le fond de la paroi, faisant ainsi office de couverture contre les changements de température et pouvant les protéger si le terrier venait à s’effondrer. Sa progéniture ne se fait pas prier pour se coller contre elle. Les tremblements de terrain se sont faits plus fréquents ces derniers temps.
Le mâle reste debout dans le logis de fortune, regardant sa compagne.
_ Il faudra bien que l’un de nous deux aille chasser, aujourd’hui, dit-il. Nous n’avons pas mangé depuis longtemps, et tu n’auras bientôt plus de lait. Tu es trop faible pour chasser.
La mère de famille lève la tête vers son compagnon et lui lance un regard suppliant. Ses petites oreilles viennent se plaquer contre sa nuque.
_ Attends que ça soit terminé. Si nous avons de la chance, cela ne durera pas trop longtemps et nous aurons à manger.
Une seconde de silence passe, puis le fennec soupire.
_ Soit. Mais si ça ne s’arrête pas, je sors au coucher de Vardosk.
_ Comme tu veux.
Un grondement vient appuyer cette dernière phrase, ainsi que l’atmosphère déjà oppressante du terrier. À partir de ce moment, plus aucun des deux animaux ne parle et c'est le début de l'attente la plus longue de leur vie. Peut-être même, leur dernière.
Un second bruit se fait entendre, plus proche et plus fort. Puis quelques instants après, une lumière blanche déchire l’espace qui sépare le sol des nuages grimaçants. Elle est presque aussitôt suivie de son lourd cri monstrueux, qui se répercute contre les parois des falaises avoisinantes.
La petite créature au pelage beige et aux larges oreilles se dresse sur ses pattes arrière ; ses grands yeux jaunes fendus en amande scrutent l’horizon, comme si elle lisait dans le ciel. Sa queue large fouette nerveusement l’air étouffant.
_ C’est différent, dit-elle. Ce dont je t’ai parlé, ce que nous savons. C’est sur le point de se produire. Abritons-nous pour le moment. Nous ressortirons lorsque ça sera terminé.
Accompagnée par son mâle et ses deux petits, la frêle créature à la fourrure beige se dirige vers le terrier qui leur tient lieu de foyer. Elle entre la première, suivie ensuite de ses petits ; son compagnon ferme la marche. La mère s’allonge contre le fond de la paroi, faisant ainsi office de couverture contre les changements de température et pouvant les protéger si le terrier venait à s’effondrer. Sa progéniture ne se fait pas prier pour se coller contre elle. Les tremblements de terrain se sont faits plus fréquents ces derniers temps.
Le mâle reste debout dans le logis de fortune, regardant sa compagne.
_ Il faudra bien que l’un de nous deux aille chasser, aujourd’hui, dit-il. Nous n’avons pas mangé depuis longtemps, et tu n’auras bientôt plus de lait. Tu es trop faible pour chasser.
La mère de famille lève la tête vers son compagnon et lui lance un regard suppliant. Ses petites oreilles viennent se plaquer contre sa nuque.
_ Attends que ça soit terminé. Si nous avons de la chance, cela ne durera pas trop longtemps et nous aurons à manger.
Une seconde de silence passe, puis le fennec soupire.
_ Soit. Mais si ça ne s’arrête pas, je sors au coucher de Vardosk.
_ Comme tu veux.
Un grondement vient appuyer cette dernière phrase, ainsi que l’atmosphère déjà oppressante du terrier. À partir de ce moment, plus aucun des deux animaux ne parle et c'est le début de l'attente la plus longue de leur vie. Peut-être même, leur dernière.
Cela
faisait longtemps qu’il marchait dans la brume douce. Il était épuisé, triste
et sa colère avait disparu. Cette brume étrange qui l’entourait s’était faite
plus dense et plus froide encore que le nuage même dans lequel ses pieds
s’enfonçaient. Son corps nu ne résisterait certainement pas très longtemps à
cette épaisse couche glacée. Il n’espérait plus qu’une chose : sortir de cet
endroit. Ses gouttes de transpiration coulaient de son front, ses jambes
tremblaient, et tous ses muscles lui faisaient mal. Il avait fini par perdre
patience et commençait à envisager sérieusement de revenir en arrière pour
rejoindre son frère, mais décida qu’il allait se reposer d’abord.
Alors qu’il cherchait à s’asseoir à un endroit où la brume n’était pas trop insistante, pour reprendre des forces, quelque chose attira son regard. Une partie de cet objet reflétait les rayons de Vardosk malgré la brume épaisse qui masquait le reste.
Il ne s’assit pas, mais utilisa quelques-unes de ses dernières forces pour s’approcher dudit objet. Ce dernier était en fait, une sorte de grand médaillon, accroché à une chaîne légère. Il était de forme ronde, et renvoyait toute lumière qui lui était projetée. Alors qu’il s’en saisissait, Hereï se rendit compte qu’il était bien plus lourd qu’il n’en avait l’air. Qu’était-ce ? Il le tourna d’abord en tous sens.
Il leva la chose jusqu’à ses yeux. S’il tournait l’objet, il ne voyait qu’une plaque dorée. Mais en revenant au devant, il vit que cela ressemblait à un bracelet en or, qui entourait une matière transparente, laissant voir un point au centre et trois aiguilles, de taille et d’épaisseur différentes, tournant à partir de ce point. Dessous, ce qui s’apparentait à un fond, était de la même couleur que les marbres de Maïendror.
Attachée au centre de l’objet, il y avait une petite aiguille rouge, immobile, une autre, plus longue et orangée, qui avançait doucement à chaque fois que la plus rapide, très fine et très grande, de couleur jaune, franchissait un symbole fait de trois traits verticaux. Les deux aiguilles qui ne bougeaient pas, semblaient faire une spirale avant de se rejoindre en un point central de l’objet. Tout autour d’elles, sur les bordures de ce cercle qu’elles traçaient indéfiniment, il y avait des signes que le maïendrain n’avait jamais vus. Cela formait trois séries de quatre symboles, qui se répétaient. Un petit cercle, un petit trait horizontal, un point, et un grand trait vertical. Puis deux, puis trois. Dès que l’aiguille folle franchissait les trois traits verticaux, la longue aiguille rousse cliquetait et avançait, elle aussi, d’un petit pas sur sa droite.
En approchant son oreille du cadran rond métallique, il entendit un cliquetis régulier entrecoupé de silences pesants.
Il resta ainsi, quelques instants, observant minutieusement l'artefact puis, persuadé qu'il pourrait sans doute lui servir pour la suite de sa quête, bien qu'il ne vît aucun Maïendrain revenir à la cité avec un objet quelconque, il porta la chaîne à son cou, décidé à porter cet objet cliquetant, quel que soit son poids. Alors, il reprit sa route, fier qu'il était de pouvoir montrer cette chose à ses frères de sang.
Cependant, il ne voyait pas la fin de son voyage. Vardosk commençait déjà à se coucher, et Hereï n’apercevait rien à l’horizon, rien que cette couche de brume par-dessus les nuages qu’il foulait de ses pieds, et par-dessus, le bleu du ciel rougi par le subtil au revoir de l’étoile. La fraîcheur qui s’installait était plus pressante, faisait trembler le jeune eris de tout son corps, alors que ses muscles lui faisaient encore mal, que ses poumons peinaient à trouver un air pur et plus doux que celui qu’il respirait pour le calmer. De plus, son estomac criait famine, car son dernier repas datait de la veille au soir.
Mais la seule idée qui persistait à traverser son esprit était qu’il allait rentrer. Il devait rentrer, pour montrer l’objet, pour serrer son frère dans ses bras, pour retrouver sa promise. Ensuite, il pourrait manger et se reposer. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, les Maïendrains qui avaient effectué le passage, l'avaient achevé au plus tard le soir. Alors, il ne devait pas être loin. C’était sans doute quelque illusion de son esprit épuisé. Lorsqu’il rentrerait, il laisserait la fatigue l’envahir. Pas avant.
L’objet lourd en guise de pendentif, il continua dans le froid. Ce bijou improvisé lui donnant plus de poids, il s’enfonçait dans la couche tendre et glacée de son nuage, et il avait plus de mal à en sortir ses jambes enlisées. Les forces qu’il devait déployer pour poser correctement un pied devant l’autre sans fléchir rendirent vite ses muscles douloureux, et il pensa plusieurs fois à enlever ce collier de son cou, et l’abandonner derrière lui dans la moiteur environnante.
Mais il n’en avait tout simplement pas le courage, car s’arrêter une fois de plus serait risque de ne plus repartir. Alors, il continua de marcher.
Alors qu’il cherchait à s’asseoir à un endroit où la brume n’était pas trop insistante, pour reprendre des forces, quelque chose attira son regard. Une partie de cet objet reflétait les rayons de Vardosk malgré la brume épaisse qui masquait le reste.
Il ne s’assit pas, mais utilisa quelques-unes de ses dernières forces pour s’approcher dudit objet. Ce dernier était en fait, une sorte de grand médaillon, accroché à une chaîne légère. Il était de forme ronde, et renvoyait toute lumière qui lui était projetée. Alors qu’il s’en saisissait, Hereï se rendit compte qu’il était bien plus lourd qu’il n’en avait l’air. Qu’était-ce ? Il le tourna d’abord en tous sens.
Il leva la chose jusqu’à ses yeux. S’il tournait l’objet, il ne voyait qu’une plaque dorée. Mais en revenant au devant, il vit que cela ressemblait à un bracelet en or, qui entourait une matière transparente, laissant voir un point au centre et trois aiguilles, de taille et d’épaisseur différentes, tournant à partir de ce point. Dessous, ce qui s’apparentait à un fond, était de la même couleur que les marbres de Maïendror.
Attachée au centre de l’objet, il y avait une petite aiguille rouge, immobile, une autre, plus longue et orangée, qui avançait doucement à chaque fois que la plus rapide, très fine et très grande, de couleur jaune, franchissait un symbole fait de trois traits verticaux. Les deux aiguilles qui ne bougeaient pas, semblaient faire une spirale avant de se rejoindre en un point central de l’objet. Tout autour d’elles, sur les bordures de ce cercle qu’elles traçaient indéfiniment, il y avait des signes que le maïendrain n’avait jamais vus. Cela formait trois séries de quatre symboles, qui se répétaient. Un petit cercle, un petit trait horizontal, un point, et un grand trait vertical. Puis deux, puis trois. Dès que l’aiguille folle franchissait les trois traits verticaux, la longue aiguille rousse cliquetait et avançait, elle aussi, d’un petit pas sur sa droite.
En approchant son oreille du cadran rond métallique, il entendit un cliquetis régulier entrecoupé de silences pesants.
Il resta ainsi, quelques instants, observant minutieusement l'artefact puis, persuadé qu'il pourrait sans doute lui servir pour la suite de sa quête, bien qu'il ne vît aucun Maïendrain revenir à la cité avec un objet quelconque, il porta la chaîne à son cou, décidé à porter cet objet cliquetant, quel que soit son poids. Alors, il reprit sa route, fier qu'il était de pouvoir montrer cette chose à ses frères de sang.
Cependant, il ne voyait pas la fin de son voyage. Vardosk commençait déjà à se coucher, et Hereï n’apercevait rien à l’horizon, rien que cette couche de brume par-dessus les nuages qu’il foulait de ses pieds, et par-dessus, le bleu du ciel rougi par le subtil au revoir de l’étoile. La fraîcheur qui s’installait était plus pressante, faisait trembler le jeune eris de tout son corps, alors que ses muscles lui faisaient encore mal, que ses poumons peinaient à trouver un air pur et plus doux que celui qu’il respirait pour le calmer. De plus, son estomac criait famine, car son dernier repas datait de la veille au soir.
Mais la seule idée qui persistait à traverser son esprit était qu’il allait rentrer. Il devait rentrer, pour montrer l’objet, pour serrer son frère dans ses bras, pour retrouver sa promise. Ensuite, il pourrait manger et se reposer. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, les Maïendrains qui avaient effectué le passage, l'avaient achevé au plus tard le soir. Alors, il ne devait pas être loin. C’était sans doute quelque illusion de son esprit épuisé. Lorsqu’il rentrerait, il laisserait la fatigue l’envahir. Pas avant.
L’objet lourd en guise de pendentif, il continua dans le froid. Ce bijou improvisé lui donnant plus de poids, il s’enfonçait dans la couche tendre et glacée de son nuage, et il avait plus de mal à en sortir ses jambes enlisées. Les forces qu’il devait déployer pour poser correctement un pied devant l’autre sans fléchir rendirent vite ses muscles douloureux, et il pensa plusieurs fois à enlever ce collier de son cou, et l’abandonner derrière lui dans la moiteur environnante.
Mais il n’en avait tout simplement pas le courage, car s’arrêter une fois de plus serait risque de ne plus repartir. Alors, il continua de marcher.
Cela fait des heures sans doute
qu’ils attendent là. La lumière du jour a décru, et Rell, le mâle va exécuter
la mission qu’il se sent obligé d’accomplir. Il regarde dehors, puis il observe
sa femelle et ses deux petits, tous trois couchés sur le flanc, les yeux
fermés.
Ils s'étaient rencontrés une de ces nuits éclairées par les lumières dansantes là-haut. Elle, Elurei cherchait de l'eau, et lui, de la nourriture. Et il l'avait prise en chasse, car elle était la seule créature vivante mangeable dans les environs, la faim passait avant tout. Mais elle avait compris le jeu du prédateur, l’avait fait tourner en rond, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux. Il s'était alors rendu compte qu'il n'était pas le seul à avoir quitté sa famille pour une vie de solitaire, qu'il n'était pas le seul mandora, le seul fennec évolué, qui errait dans ces terres arides, qu’il n’était pas le seul être à parler le langage commun aux Erisoïdes, qu’il n’était pas le seul à pouvoir se tenir sur deux pattes.
Elle aussi en était capable. Et il en tomba follement amoureux. Depuis, ils vivent l'un pour l'autre, et, depuis qu’ils sont nés, pour leurs deux petits, Sora et Malung.
Cette venue des deux jumeaux dans leur vie fut comme une bénédiction, et ils en virent un message qu’ils vivraient longtemps et heureux. Tout ce qu’ils voulaient, tous deux, était croire à un conte. Alors ils crurent à ce signe du destin, et depuis ces mois magiques, ils vivent comme si un miracle prochain allait arriver.
Il regarde au-dehors. Bientôt, il faudra partir et laisser sa famille seule, pour peut-être ne plus la revoir, car le désert est cruel, si cruel…
Un nouveau flash apparaît dans le ciel, suivi par le douloureux hurlement qui éventre les nuages au-dessus de leurs têtes. Les eaux se déversent alors par trombes, envahissant en quelques instants le sol asséché et brûlé par des siècles de chaleur. De l’eau ! Il y a de l’eau. De toute leur vie, les deux fennecs n’ont jamais vu une telle quantité d’eau leur arrivant d’en haut.
C’est la première fois qu’ils peuvent boire jusqu’à plus soif, qu’ils peuvent enfin se réhydrater sans avoir à boire de l’eau aussi brûlante que l’air. Le terrier commence à se remplir, centimètre par centimètre. Les deux enfants sont les premiers à profiter de cette soudaine abondance de boisson, ils se jettent dans l’eau qui les rejoint et boivent à grandes lapées, au point de s’en couper le souffle. Leurs parents les rejoignent peu après, une fois leur surprise passée. Chacun se régale de cette eau tombée du ciel. Cette eau miraculeuse.
Cette eau de malheur !
Ils s'étaient rencontrés une de ces nuits éclairées par les lumières dansantes là-haut. Elle, Elurei cherchait de l'eau, et lui, de la nourriture. Et il l'avait prise en chasse, car elle était la seule créature vivante mangeable dans les environs, la faim passait avant tout. Mais elle avait compris le jeu du prédateur, l’avait fait tourner en rond, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux. Il s'était alors rendu compte qu'il n'était pas le seul à avoir quitté sa famille pour une vie de solitaire, qu'il n'était pas le seul mandora, le seul fennec évolué, qui errait dans ces terres arides, qu’il n’était pas le seul être à parler le langage commun aux Erisoïdes, qu’il n’était pas le seul à pouvoir se tenir sur deux pattes.
Elle aussi en était capable. Et il en tomba follement amoureux. Depuis, ils vivent l'un pour l'autre, et, depuis qu’ils sont nés, pour leurs deux petits, Sora et Malung.
Cette venue des deux jumeaux dans leur vie fut comme une bénédiction, et ils en virent un message qu’ils vivraient longtemps et heureux. Tout ce qu’ils voulaient, tous deux, était croire à un conte. Alors ils crurent à ce signe du destin, et depuis ces mois magiques, ils vivent comme si un miracle prochain allait arriver.
Il regarde au-dehors. Bientôt, il faudra partir et laisser sa famille seule, pour peut-être ne plus la revoir, car le désert est cruel, si cruel…
Un nouveau flash apparaît dans le ciel, suivi par le douloureux hurlement qui éventre les nuages au-dessus de leurs têtes. Les eaux se déversent alors par trombes, envahissant en quelques instants le sol asséché et brûlé par des siècles de chaleur. De l’eau ! Il y a de l’eau. De toute leur vie, les deux fennecs n’ont jamais vu une telle quantité d’eau leur arrivant d’en haut.
C’est la première fois qu’ils peuvent boire jusqu’à plus soif, qu’ils peuvent enfin se réhydrater sans avoir à boire de l’eau aussi brûlante que l’air. Le terrier commence à se remplir, centimètre par centimètre. Les deux enfants sont les premiers à profiter de cette soudaine abondance de boisson, ils se jettent dans l’eau qui les rejoint et boivent à grandes lapées, au point de s’en couper le souffle. Leurs parents les rejoignent peu après, une fois leur surprise passée. Chacun se régale de cette eau tombée du ciel. Cette eau miraculeuse.
Cette eau de malheur !
Il
n’en pouvait plus. Se forcer à maintenir un cap droit et une allure soutenue ne
marchait même plus sur son esprit ramolli par la fatigue. Il n’avançait
d’ailleurs presque plus, faisant du sur-place. Du moins le pensait-il. Son cœur
ne le pensait pas. Il battait vite et fort ; Hereï avait même l’impression d’en
avoir un second dans le crâne, qui frappait son cerveau et à l’intérieur de ses
oreilles ; Et à cette cacophonie agaçante s'ajoutait le frénétique cliquetis de
cet objet étrange dont le cœur, aimait penser le jeune eris, battait à
contretemps. De plus, l’air glacial qui l’enserrait plus fort à mesure qu’il
avançait était devenu presque étouffant et sa faim, qui semblait l’étrangler,
lui cachait parfois la vue. S’il ne mangeait pas bientôt, il s’épuiserait plus
encore, s’évanouirait sans doute, mourrait peut-être… alors il fallait
continuer…
Mais son corps était bien trop fatigué et courbaturé pour aller plus loin. Son esprit affaibli sombra dans un chao sans nom, chargé du noir des ténèbres, et il se vit s'effondrer lentement, sans pouvoir s'accrocher à quoi que ce fut. Et alors qu'il allait toucher le nuage, il fut pris d'une effroyable terreur en voyant qu'en réalité, il le traversa d'un seul coup. Il se sentait tiré vers le bas par cette étrange chose dont le cliquetis fut le dernier son qu'il entendit, avant de perdre conscience.
Mais son corps était bien trop fatigué et courbaturé pour aller plus loin. Son esprit affaibli sombra dans un chao sans nom, chargé du noir des ténèbres, et il se vit s'effondrer lentement, sans pouvoir s'accrocher à quoi que ce fut. Et alors qu'il allait toucher le nuage, il fut pris d'une effroyable terreur en voyant qu'en réalité, il le traversa d'un seul coup. Il se sentait tiré vers le bas par cette étrange chose dont le cliquetis fut le dernier son qu'il entendit, avant de perdre conscience.